Sharaz-De

Publié le par k.bd

entete sharaz-de 

 

Emerveillés par nos épopées du mois dernier autour de l’héroic fantasy, nous n’avons pas souhaité rompre le charme et partons du côté du voyage graphique. Rangeons armes et boucliers, installons nous confortablement dans notre canapé douillet car ce mois-ci… vous allez en prendre plein les yeux. Ce nouveau périple mensuel se fera donc « au-delà des cases » auprès d’auteurs qui ont exploré de nouveaux codes visuels. En mettant la sémantique au service des visuels, ils démontrent que la page peut être une entité malléable. Il n’y a plus qu’à laisser opérer la magie pour que les images éveillent les sens du lecteur.


La première halte, nous avons souhaité la faire avec Sergio Toppi. Il a tout d’abord commencé à exercer ses talents d’illustrateur dans l’animation puis s’est fait connaître en tant que dessinateur pour la presse enfantine italienne. C’est seulement à partir des années 1970 qu’il se tourne vers la bande dessinée « adulte ». Son style est novateur et motivé par une recherche d’esthétique assez poussée. A l’époque, il s’inscrit dans une mouvance artistique aux côtés d’autres auteurs transalpins comme Dino Battaglia (Woyzeck, Maupassant - Contes et nouvelles de guerre…) ou Attilio Micheluzzi (récompensé cette année à Angoulême pour Bab El-Mandeb). Sur l’ensemble de ses productions, Sharaz-De est à rapprocher du Collectionneur (œuvre majeure de l’artiste) car ce sont ses deux seuls univers à personnages récurrents. Le Collectionneur est « le seul personnage que j’ai véritablement essayé de suivre et de faire vivre au long cours. Le seul qui m’intéressait suffisamment pour que je m’y investisse sur la durée de quatre aventures pour le magazine Orient Express » explique l’auteur. En revanche, Sharaz-De est une commande qui lui a été faite par la revue Linus, un travail d’adaptation qui s’est arrêté abruptement après la dixième production. Dans les deux cas, nous sommes face à des personnages à fort potentiel, des créatures qui ont su retenir l’attention de l’auteur de manière suffisante pour qu’il étoffe leurs univers respectifs. En France, c’est grâce aux professionnels passionnés des Editions Mosquito que nous pouvons lire Toppi.

Sharaz-De est une, adaptation des Contes des Mille et Une Nuits. Dans la version originale, Shahryar, le Roi de Perse, apprend que sa femme a commis un adultère. Meurtri et convaincu que toutes les femmes sont viles, il décide de prendre une nouvelle femme chaque soir et de la faire décapiter après la nuit de noces. Un jour la fille du grand vizir, Shéhérazade, se porte volontaire pour entrer dans la couche royale. Elle repousse les avances du Roi et propose de lui raconter une histoire. Au petit matin, alors qu’arrive le moment de son exécution, le Roi est subjugué et demande à la conteuse de poursuivre son récit. Elle accepte à condition d’avoir la vie sauve. Le soir venu, Shéhérazade raconte la fin de la légende et débute un autre conte, reportant ainsi de jour en jour le moment de sa mort. Sharaz-De incarne cette héroïne et, avec elle, nous revisitons cet univers peuplés de dragons, de djinns et de chimères tout en étant bercés par les atmosphères orientalisantes qui prennent corps sous la plume de Toppi.

Comme tous ses ouvrages, Sharaz-De est le résultat d’une logique narrative différente de celles rencontrées habituellement dans les bandes dessinées, témoin d’un équilibre hors norme entre narration et illustration. Le récit semble fidèle aux Contes des Mille et Une Nuits, on y retrouve la même richesse ethnique (des récits en provenance de Perse, d’Arabie…) et la même fascination opère chez les lecteurs qui se plongent dans ces mondes fantastiques. Les travers de l’homme sont au centre du récit teint de cruauté, d’avarice, de convoitises… Le seul grief présent dans nos chroniques est lié au contenu du diptyque de Sharaz-De : de courtes nouvelles qui ne laissent parfois pas le temps de s’imprégner complètement d’un univers. La qualité de la narration ne sera pourtant jamais remise en question par les lecteurs.

Au niveau graphique en revanche, c’est une claque magistrale pour chacun de nous. Le fait est que les codes traditionnels du Neuvième Art sont ici balayés. Toppi aborde intelligemment l’agencement de la planche, la considérant comme une entité plastique. En se libérant totalement de la contrainte de la case, il fait évoluer personnages et éléments du décor avec une logique qui lui est propre. Yvan explique d’ailleurs clairement que l’auteur «intègre en effet toutes les scènes en un seul dessin, liant ainsi tous les éléments de la planche ». Le trait s’étire, s’entrelace, se tord pour rendre chaque élément du visuel dépendant de l’ensemble, créant une unité dans laquelle narration, voix-off et illustration se complètent pour donner du sens. L’œil du lecteur se perd ainsi régulièrement dans une spirale qui donne vie successivement à un détail de costume, la profondeur d’un regard ou bien encore une cavité rocheuse. Cette réflexion aboutie de Toppi sur la disposition de chaque détail, l’utilisation de nouveaux codes visuels, guide le lecteur dans sa découverte et donne une autre dimension à sa lecture sans que la compréhension de celle-ci n’en soit jamais altérée.

Une découverte pour chacun de nous, à commencer par Yvan qui en a apprécié l’originalité. Ce diptyque est un chef d’œuvre pour Zorg. Quant à moi, depuis cette lecture, je considère Sergio Toppi comme un auteur incontournable.

Cet artiste n’est pas le seul à tordre les cadres conventionnels de la bande dessinée. Peu s’y hasardent mais lorsque c’est le cas, il y a fort à parier que le lecteur apprécie le dépaysement. C’est le constat unanime des membres de l’équipe sur d’autres lectures : Flood de Drooker, Cages ou L'Asile d'Arkham de Dave Mc Kean, Jimy Corrigan de Chris Ware, Le dernier des Mohicans de Cromwell… est-il besoin d’en citer plus ?

 

signature mo' nov 2010

Publié dans Synthèses

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C
<br /> Qui pourra résister à Toppi, après ça ?! :D<br /> <br /> <br />
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