Transmetropolitan, tome 1
« Ca pleure pas, un journaliste.
Et j'en suis un de nouveau.
J'en suis un. »
Dès les premières pages, Spider Jerusalem, star de la presse écrite, annonce la couleur : il sort de sa retraite. Cinq longues années passées dans les montagnes, « à tirer sur les fans, les voisins, à manger ce que je tue et à bombarder l'imprudent. »
Cinq années de drogue, d'armes en tous genres, de fuite.
Pas de gêneurs dans les montagnes, mais pas non plus de société. De politiciens véreux. De médias corrompus. De mal-être social. De magouilles. De violence. De haine. De bruits. De couleurs. De cris. D'odeurs.
La vie, quoi.
Bien obligé d'y replonger pour honorer un contrat passé quelques années plus tôt : soit il pond deux livres – deux nouveaux best-sellers, bien sûr – soit il va en taule...
Ni une ni deux, il désamorce les apocalyptiques systèmes de défense de son nid d'ermite et quitte sa retraite... ainsi que sa foisonnante pilosité – crânienne et faciale – qui lui tenait lieu de garde-robe préhistorique, qu'il troque contre de grosses chaussures noires, une tenue moulante noire, des lunettes rouges et vertes (caprice de son faiseur domestique un brin halluciné) et une boule à zéro.
Voilà donc Spider Jerusalem de retour dans en ville, La Ville, et dans les pages du Word, journal qui n'a pas froid aux yeux, où travaille son ami et futur patron Mitchell Royce.
Il est de retour pour le meilleur – faire éclater la vérité, à laquelle il est viscéralement attaché – et pour le pire – se frotter aux innommables magouilles politiques, économiques, médiatiques et religieuses qui mettent au plus mal les plus démunis.
« Pour lecteurs avertis » : le petit logo rouge évoquant un panneau stop, dans un coin de la couverture, ne ment pas. Warren ELLIS, star des comics politiquement incorrects, ne mâche ni ses mots, ni son scénario. Après avoir fait ses premières armes sur quelques grands noms de Marvel (Fatalis, Thor) ou de DC (Stormwatch), l'auteur britannique a pris la saine habitude de secouer tous les cocotiers se présentant à lui, injectant dans la plupart de ses histoires de larges doses de cynisme et de critique sociale.
Darick ROBERTSON, du côté des crayons, met son trait précis, réaliste, et parfois très légèrement caricatural, au service d'une histoire et d'un personnage dont le maître mot est la démesure. Adepte des décors urbains grouillants de détails (comme il le montrait déjà dans Space Beaver, sa première histoire, en 1985), il brosse un futur très proche particulièrement improbable et pourtant dérangeant par la familiarité qui s'en dégage.
Et si le monde d'après-demain, c'était ça ? Publicités à outrance, état policier, manipulations génétiques, gouvernements corrompus... Ça ne vous rappelle rien ? La liste est longue, et ELLIS et ROBERTSON ne nous épargnent aucun excès.
Réalisme terrifiant, cynisme salutaire, humour cinglant : Transmetropolitan, sous des dehors agressifs (la violence est un des moyens d'expression favori du héros, avec les agitateurs d'intestins) et grossiers (mais une grossièreté verbale particulièrement bien torchée !), offre une critique particulièrement lucide et sévère de notre société.
Zorg, David, Yvan et moi-même nous accordons pour qualifier Transmetropolitan de bombe, sur le fond comme sur la forme : du comics d'une autre planète, porté par deux aliens de la création anglo-saxonne.
Zorg insiste sur le caractère déjanté du personnage et des décors.
David replace l'oeuvre dans l'histoire du comics avec une incontournable référence à Alan MOORE.
Yvan regrette certaines séquences « too much », qui semblent indiquer que le scénariste tripe parfois autant que son personnage...
« Pour lecteurs avertis », donc … avertis que cette bombe ne laissera pas indemne, entre éclats de rire et grincements de dents. Le monde comme une horreur dont il vaut mieux rire pour se protéger... et essayer de le changer.
Desolation Jones, du même ELLIS (avec J.H.WILLIAMS III aux crayons) s'inscrit un peu dans la même veine. Wormwood, de Ben TEMPLESMITH, joue dans la même cour de la déjante, la critique sociale en moins et les tentacules en plus.
Le monde du comics est décidément plein de bonnes surprises dès qu'on sort des sentiers battus...