Tintin au Congo (Hergé)

Publié le par k.bd

entete tintin au congo

 

 

Lorsqu'il est venu sur k.bd le temps de choisir les albums sur l'Afrique dans le cadre de notre thématique mensuelle, il m'a paru inconcevable de ne pas faire figurer Tintin au Congo. S'en sont suivies d'âpres discussions. Devait-on parler de cette œuvre-témoignage d'une époque ou privilégier des lectures plus contemporaines ?
Tintin est aujourd'hui encore mis en avant dans les grands magasins (en version moche qui plus est... c'est quand même un comble quand on sait qu'il existe des fac-similés, en noir et blanc et en couleur, autrement plus intéressants, avec un papier de qualité et une colorisation géniale : comparer c'est adopter). Il doit y avoir des tas de gens qui mettent cet album dans les mains de leurs enfants parce que Tintin s'adresse aux enfants, sans pour autant connaître (ou s'en souvenir) les clichés colonialistes qu'il contient.
Nous pensons que parler de Tintin au Congo est important. Pas seulement pour son contenu, mais aussi pour l'image qu'il véhicule...
Un album plébiscité à sa sortie et montré du doigt aujourd'hui.
Une lecture pour enfants certes... mais l'est-elle encore maintenant ?


Hergé, de son vrai nom Georges Prosper Remi, est né le 22 mai 1907 à Etterbeek (dans la région de Bruxelles) en Belgique. Il fait ses premiers pas en tant que dessinateur pour Le Petit Vingtième, supplément du journal belge Le Vingtième Siècle. Tout d'abord avec Tintin au pays des Soviets entre 1929 et 1930, puis peu après avec Tintin au Congo, pré-publié en noir et blanc du 5 juin 1930 au 18 juin 1931. Il s'agit des secondes Aventures de Tintin (mais pas du second album d'Hergé, puisqu'il dessine un Quick et Flupke, son autre série fleuve, en décembre 1930).

Contrairement aux idées reçues, Hergé n'est pas le père de la bande dessinée moderne franco-belge. On lui attribue souvent l'apparition des phylactères faisant s'exprimer les personnages en lieu et place des textes narratifs (tout aussi présents dans ses planches) mais le procédé existe déjà ailleurs (le premier en France à les utiliser est Alain Saint-Ogan pour sa série Zig et Puce, lancée en 1925), et notamment aux États-Unis où le comic-strip fait fureur depuis déjà la fin du 19ème siècle.
Hergé est en revanche le père de la « ligne claire » (bien que ce terme fut employé pour la première fois en 1977 par Joost Swarte pour qualifier le travail d'Hergé) : un contour systématique par des traits noirs d'épaisseur régulière, des aplats de couleurs sans effets d'ombre ou de lumière. Si ce style est employé avant lui (notamment Little Nemo outre-Atlantique), Hergé l'affine et le codifie : traitement simple et régulier des cases, réalisme des décors, unité dans les plans. Le tout dans une même idée de lisibilité maximum d'un récit. Il apporte également une fluidité presque cinématographique à l'ensemble avec des cases qui se succèdent comme dans un film, décomposant les gestes des personnages de manière quasi chronophotographique.
Edgard P. Jacobs, ami et collaborateur d'Hergé sur la deuxième version des albums d'après guerre, a sûrement aussi joué un rôle dans la naissance de la « ligne claire ». En effet, l'auteur de Blake et Mortimer était lui-même chargé de redessiner les décors, de trouver le point d'harmonie parfait entre réalisme et simplicité, et il avait aussi à sa charge le choix de la technique de colorisation.

Il faut savoir que les 9 premiers albums de Tintin, parus entre 1931 et 1942, seront entièrement refaits (à l'exception de Tintin au pays des Soviets qui restera d'ailleurs en noir et blanc). Hergé et son équipe condenseront les récits dans un format de 62 pages. Ils redessineront toutes les cases en prenant la peine de modifier les contenus choquants ou rétrogrades. Ils en ajouteront même parfois pour une meilleure compréhension. Et pour finir ils appliqueront les fameux aplats de couleur. Un travail titanesque qui contribue aussi à la lisibilité de Tintin, qui sera en quelque sorte sa marque de fabrique...

… Mais concentrons-nous un peu sur Tintin au Congo (Hey ! Oui toi qui t'endors au fond de la salle ! On se reprend ? Je vais rentrer dans le vif du sujet ! Comment ça « enfin » ?).


En 1930, il est demandé à Hergé d'envoyer son reporter au Congo, alors une vaste colonie belge (80 fois la superficie de la Belgique), pour mettre en avant un beau pays qui manque cruellement de main d'œuvre.
Une opération séduction donc, mais qui n'a pas permis à l'auteur de se rendre sur place. Il devrait se contenter du Musée d'Afrique Centrale de Tervuren (en Belgique), sa source majeure d'inspiration, et des clichés colonialistes de l'époque. C'est un peu maigre comme documentation, avouons-le.

Maigre, c'est aussi le cas du contenu de l'album : présentation sommaire d'un pays qui s'était jusque là développé différemment de la culture européenne. Il n'est finalement question que de stéréotypes où les Congolais, malmenés, sont décrits d'une manière grotesque et caricaturale. Hergé utilise des termes péjoratifs et dégradants qui, s'ils portaient autrefois une connotation différente, s'apparentent à du racisme maintenant.
L'homme blanc, personnifié par Tintin, est montré comme « supérieur ». Il est présenté comme un sauveur et endosse le rôle d'éducateur, comme dans cette scène où il fait cours aux jeunes « nègres », leur montrant leur « patrie la Belgique » sur le tableau.
Lors de la réédition de l'album en 1946, Hergé prend soin de modifier littéralement certaines planches et celle-là n'y échappe pas : Tintin oubliera la géographie Belge au profit des mathématiques (vous pourrez comparer les planches sur la chronique de Champi).
C'est lors de cette refonte qu'apparaît par ailleurs un fil conducteur, présentant Al Capone comme un exploitant des gisements de diamants du Congo et comme le futur ennemi de Tintin en Amérique.

Malgré les retouches apportées au récit originel, Tintin au Congo reste encore de nos jours une photographie de l'époque colonialiste et paternaliste. Elle fait également le tour des errements de l'époque à l'égard des animaux : safaris déviant en carnages, braconnage, déguisements douteux, chasse d'espèces protégées... les associations de défenseurs de la nature en bondissent encore aujourd'hui.
Une œuvre de jeunesse (Hergé n'avait que 23 ans lorsqu'il a commencé) que les plus tempérés d'entre nous qualifient seulement de maladresse, qui comporte trop de sentiments aujourd'hui déplacés et indécents au service d'une idéologie plus que discutable.
Hergé est un autodidacte qui débute encore et ça se voit :
Le récit est naïf (Mitchul le taxe même de « limite crétin »). Les textes et les images sont redondants... Certains estiment que les scènes sont incohérentes, sans aucun lien les unes aux autres. Il y a en tout cas un flagrant manque de construction et d'authenticité (qui n'arrivera qu'à partir du Lotus Bleu). Le rythme est décousu, très marqué par la parution périodique de l'époque...
La planche finale sera à peu près la seule à avoir attiré notre attention, surtout celle de David et d'OliV' qui pour autant n'en retirent pas la même vision. Pour le premier, c'est un appel à l'aventure, le prémisse de l'œuvre en majuscule d'Hergé, sa propension à proposer des personnages hauts en couleur. Pour le second, c'est une scène forte qui à elle seule résume l'essentiel du discours paternaliste colonial.


Près de 80 ans après sa création, Tintin au Congo fait encore parler de lui, critiqué par de nombreux détracteurs. Conflits et procès sont récurrents autour de cette bande dessinée.
Souvenez-vous de l'affaire portée devant les tribunaux par Bienvenu Mbutu Mondondo en 2007 et qui avait tant défrayé la chronique.
Il y a peu, c'étaient les bibliothèques suédoises qui voulaient expurger Tintin de leurs fonds.

Alors faut-il interdire Tintin ? Retirer les albums de tous les lieux publics ?
Qui lit Tintin aujourd'hui ? Il y a des lectures franchement plus intéressantes et bien mieux construites pour les enfants.
Sur k.bd nous pensons que Tintin au Congo pourrait au contraire servir l'intérêt scolaire, être une source d'échange autour du colonialisme à l'école et dans les bibliothèques. C'est pour nous la façon la plus efficace pour parler de cette œuvre et du contexte de son époque.


Nous l'avons dit :

Mitchul : « Hergé a eu beau atténuer les clichés colonialiste de l'album [...], rien n'y fait. Cela transparait à chaque case. »
Champi : « Pas sûr qu'HERGE et son époque aient été moins "racistes" que la nôtre (peut-être le furent-ils différemment). Pas sûr que les lecteurs d'aujourd'hui lisent Tintin au Congo sans aucun recul (ou alors ils n'ont aucun recul sur rien). »
OliV' : « Un problème d'époque bien que cela existe encore aujourd'hui [...] Dites moi que ça n'existe plus !! »
Badelel : « Qui n'a pas lu Tintin au Congo dans ses 8 premières années ? Et sur ce total, combien d'enfants l'ont lu accompagné d'un adulte pour en expliquer le contenu ? »
Lunch : « Ce n'est qu'aujourd'hui que je peux vraiment apprécier ce qu'est réellement Tintin au Congo. »
David : « Résultat, l'œuvre d'Hergé avec ses défauts et ses qualités a aussi donné le frisson de l’aventure au petit lecteur naïf que j'étais. Malheureusement, le temps passe et le petit lecteur a grandi... »
La grand-mère de Mo' aurait dû nous rejoindre pour compléter nos avis mais elle devait finir un tricot.

 

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Publié dans Synthèses

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Commenter cet article
L
Tintin est un "monument" du 9ème Art. Il existe de nombreuses biographies sur Hergé (Pierre Assouline, Benoit Peeters...) tellement l'homme, son œuvre et l'époque de son œuvre sont étudiées.
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J
alorslà, j'ai appris encore des choses sur cette bd, amlgré les nombreux billets lus dessus !<br /> c'est vrai qu'enfant, on n'avait aucun adulte pour nous expliquer Tintin, et on n'en a retenu que le côté aventure et différents pays.<br /> Nul doute que si on se replongeait dedans aujourd'hui, on y trouverai bien d'autres éléments ! je vais donc m'y atteler, l'article chez yaneck sur "l'étoiel mystérieuse" m'ayant déjà interpelée.<br /> bonne journée
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L
J'ai moi-même beaucoup appris en le rédigeant. Heureux que ça t'ai plu.
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S
Je viens d'apprendre plein de choses grâce à cet article : merci beaucoup !
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